
Interview Jo Bones
(version française ci-dessous)
February 2025. For the exhibition À poil at the Micki Chomicki Gallery, I visit Jo Bones in her studio. The French artist feels more Belgian than French and left her homeland to settle in the heart of Brussels. Her work explores humanity in motion, presenting visual metaphors tinged with subtle humor that highlight the paradoxes of our transhumanist era. Neither dystopian nor purely sarcastic, her art is like a form of generosity.
Your exhibition is titled À poil, which obviously has multiple meanings. Can you tell us more about it?
It’s the title of this piece (Jo Bones pulls out a tulle jacket, partially covered with human hair). That’s where the name comes from, because I gave myself naked in this work. Every year, I cut nine centimeters of my hair and sew it onto a strip on this shirt, in the same way a wig would be made. The work grows over time. It offers several interpretations: a garment that evolves, a tangible proof of time passing. ‘To be’ means always having a little more hair—until there’s nothing left to add. Then the piece is complete. It also carries traces of life, a biological imprint. DNA is present, along with clues about stress, diet, origins… It tells a journey, a creative process.
There is also an animal dimension, a reference to survival. It takes us back to early humans, who covered themselves in fur for warmth. In À poil, this ancestral instinct takes on a new and personal form.

The relationship between humans and animals is a recurring theme in your work. Is it a critique? Are we still truly human?
That’s the central question of L'Agenda. This piece is a fur coat on which I have inscribed a weekly cycle listing recurring problems. We evolve, evolve, evolve, yet we still face the same dilemmas as the first humans. We must not forget where we come from.
The phrases are written in depilatory wax. I used this material and its pink color in memory of a childhood doll. When I was little, I left a doll on a radiator when I went down to eat. When I came back, I found it melted—a shapeless mass of plastic with hair embedded in it. That image stayed with me. For L'Agenda, I used kitchen letter molds, poured in melted wax, and let the text solidify on the fur coat.
I also find working with fur coats highly symbolic. This animal pelt was humanity’s first piece of clothing. It allowed humans to survive. Until the anti-fur movement of the 1980s, a fur coat was a marker of social status. Today, the object has been left abandoned. It speaks of a society’s whims, constantly contradicting itself.
Your work questions human evolution—where are we going, how, and for what purpose?
Our society pays a high price to humanize robots, to give them expressions—while we are asking humans to think more like robots, to forget imagination and emotion. When robots will become faster, smarter, more beautiful, smoother, more hygienic, humans will be left behind: slow, foolish, hairy, vulnerable to microbes, and burdened with body odor, a digestive system, and a biological reality. In the end, our evolution will bring us back to the starting box.
The pursuit of extreme perfection—the creation of a world without error, without microbes, without taste, without color—will lead to our self-destruction.
So the cycle is complete.

I illustrate this in Le Piège (The Trap). Here, I shaved a section of a fur coat and revealed a big trap that resembles a golden crown. This crown, folding itself, suggests that the fox was trapped to make this coat. But the one who wears the coat is also trapped—entering a hierarchy of power, a ladder they can climb but never truly can step down anymore. It’s a trap.
In my work, I question the functionality of things. Hair, body odor, skin—these all serve a purpose. They connect you to a family, a group, a tribe. But this function is disappearing. You can hold the sleekest laptop in your hands, you can own the most high-tech smartphone, but you will always remain an animal. Don’t fool yourself.
Is your intention rather to disrupt or to seek balance?
What I try to do in my work is communicate with humans through sensory and visceral memory—the first form of intelligence in human beings. Even if we manage to implant artificial intelligence into our human minds, we still live in animal bodies. I find a kind of sensual poetry in that.
We live in a world of irony and absurd paradoxes. Today, the artist has a mission: to awaken mortals to independent, wild freedom of expression—something that escapes the inhuman robotic people. What interests me is triggering associations, sparking thought. It could be seen as an act of generosity. A generosity that is almost animalistic—like a hyena feeding her young.
I mix natural and synthetic materials to find a respectful balance between these two worlds, which need each other and are forced to coexist.
FRANCAIS

Février 2025. Pour l'exposition « À poil » à la Micki Chomicki Gallery, je rends visite à Jo Bones et à son atelier. L'artiste française se sent plus belge que française et a quitté son pays natal pour s’installer au cœur de Bruxelles. Son œuvre interroge l'humanité en mouvement. Elle présente des métaphores visuelles teintées d'un humour subtil, qui mettent en exergue les paradoxes de notre transhumanisme. Ni dystopie, ni pur sarcasme, plutôt une forme de générosité.
Votre exposition s'intitule « Á poil », qui a évidemment plusieurs significations. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
C'est le titre de cette pièce (Jo Bones sort une veste en tulle, partiellement recouverte de cheveux humains). C'est de là que vient le titre, parce que je me suis mise à nu dans ce travail. Chaque année, je coupe neuf centimètres de mes cheveux, que je couds sur une bande de cette chemise, de la même manière qu'on fabriquerait une perruque. L'œuvre grandit ainsi avec le temps. Cela offre plusieurs lectures possibles : un vêtement qui évolue, une preuve tangible du passage du temps. "Être", c'est toujours avoir un peu plus de cheveux, jusqu'à ce qu'il n'y ait plus rien à ajouter. L'œuvre est alors achevée. Elle porte aussi les traces de la vie, une empreinte biologique. L'ADN y est présent, avec des indices sur le stress, l'alimentation, les origines... Elle raconte un parcours, un processus créatif. Il y a aussi une dimension animale, une référence à la survie.
Cela nous ramène à l'humain primitif, qui se couvrait de fourrure pour se protéger du froid. Dans « À poil », cet instinct ancestral prend une forme nouvelle et personnelle. Il y a aussi une dimension animale, une référence à la survie.
La relation entre l'humain et l'animal est un thème récurrent dans votre travail. Est-ce une critique ? Sommes-nous encore vraiment humains ?
C'est la question au cœur de « L'Agenda ». Cette pièce est une veste de fourrure sur laquelle j'ai inscrit un cycle hebdomadaire énumérant tous les problèmes récurrents. Nous évoluons, évoluons, évoluons, mais nous sommes confrontés aux mêmes dilemmes que les premiers hommes. Nous ne devons pas oublier d'où nous venons.
Les phrases sont écrites à la cire épilatoire. J'ai utilisé cette matière et cette couleur rose en mémoire d'une poupée de mon enfance. Petite, j'ai laissé une poupée sur un radiateur avant de passer à table. En revenant, je l'ai trouvée fondue, une masse informe de plastique où les cheveux étaient incrustés. Cette image m'a marquée. Pour « L'Agenda », j'ai utilisé des moules à lettres de cuisine, j’y ai coulé de la cire épilatoire fondue et j’ai laissé figer le texte sur la veste de fourrure.
Je trouve également très significatif de travailler avec des manteaux de fourrure. Ce manteau de poils de bête est le premier vêtement de l’humanité. Cela a permis la survie de l’homme. Jusqu'au mouvement anti-fourrure dans les années 1980, il était un moyen de se différencier au sein d'une certaine classe sociale. Aujourd'hui, c'est un objet abandonné. Cela raconte le caprice d’une société en perpétuelle contradiction.

Votre travail questionne l'évolution de l’homme : vers quoi va-t-il, comment et dans quel intérêt ?
Notre société paie cher pour humaniser des robots, pour leur donner des expressions. Alors qu’on demande à l’humanité de réfléchir comme les robots et d’oublier d’avoir de l’imagination et des émotions. Quand les robots seront plus rapides, plus intelligents, plus beaux, plus lisses et plus hygiéniques, l’homme sera définitivement lent, bête, poilu, fragile face aux microbes et aura une forte odeur corporelle, le tout avec un système alimentaire et digestif. Notre évolution nous ramènera à la case départ, en définitive.
La recherche de perfection extrême, de création d'un monde sans erreurs, sans microbes, sans goût, sans couleur, va mener à notre autodestruction.
La boucle est donc bouclée.
Je le montre également dans « Le Piège ». Ici, j'ai rasé un morceau d'un manteau de fourrure. Ensuite, j’y montre une mâchoire qui ressemble à une couronne dorée. Cette couronne, qui se replie sur elle-même, évoque le fait que le renard a été piégé pour fabriquer ce manteau. Mais celui qui le porte se piège aussi. Il entre dans une hiérarchie de pouvoir, une échelle où il peut monter, mais d’où il ne pourra plus jamais redescendre. C'est un piège.
Dans mon œuvre, je me pose des questions sur la fonctionnalité des choses. Les poils, les odeurs corporelles, la peau : tout cela a une fonction. Cela vous rattache à une famille, un groupe ou une tribu, par exemple. Mais cela se perd. Vous pouvez avoir un ordinateur élégant dans la main, vous pouvez posséder un smartphone de haute technologie, mais vous resterez toujours un animal. Ne vous faites pas d'illusions.

Votre intention est-elle plutôt de bouleverser ou de trouver un équilibre ?
Ce que j’essaie de faire dans mon travail, c’est de communiquer avec l’humain grâce à la mémoire sensorielle et viscérale, la première intelligence de l’être humain. Même si nous parvenons à doter nos esprits humains d'une intelligence artificielle, nous continuons à vivre dans un corps animal. J'y trouve une poésie sensuelle.
Nous vivons dans un monde d'ironie et de paradoxes absurdes. L’artiste a une mission aujourd’hui : réveiller les mortels à la liberté d’expression indépendante et sauvage, qui échappe aux « moules » robotiques inhumains. Ce qui m'intéresse, c'est de provoquer des associations d'idées, de stimuler la réflexion. Cela pourrait être perçu comme un acte de générosité. Une générosité presque animale, comme une hyène qui nourrit ses petits.
Je mixe des matières naturelles et synthétiques dans le but de trouver un équilibre respectueux entre ces deux mondes, qui ont besoin l’un de l’autre et qui sont obligés de vivre ensemble.
